Franc-maçonnerie à Toulouse :
bref historique
La Franc-Maçonnerie s’implante à Toulouse dans les années 1730 sans laisser de traces écrites. Sa propagation utilise la voie commerciale qui relie Bordeaux à la Méditerranée par l’intermédiaire du Canal du Midi inauguré par Louis XIV cinquante ans plus tôt.
Les produits d’Amérique et les vins de Bordeaux trouvent ainsi un débouché sur le bassin méditerranéen. Les loges « Amitié », « Sagesse », Harmonie » et « Française » se réunissent dans des tavernes, comme celle de « La Vache », place de la Daurade, où elles banquêtent comme le disent les rapports de police ou les correspondances privées.
C’est en 1741 que naît la première loge dont les traces sont avérées. Elle est créée par le Comte Richard de BARNEWALL, un Irlandais beau-frère du G.M. de la « franche Maçonnerie d’Irlande », sous le titre de loge de St Jean, munie d’une patente irlandaise. Jamais reconnue par la Grande Loge de Paris puis par la Grande Loge de France puis par le Grand Orient de France, elle sera toujours reconnue par les loges toulousaines comme la « loge-mère » sous le titre de « St Jean Ancienne ». Elle disparaît à la veille de la Révolution avec la mort de Richard de BARNEWALL dénommé « père de la Maçonnerie toulousaine ».
Début 1742, c’est-à-dire deux mois après la création de cette loge, une loge féminine voit le jour, 5 noms sont connus mais aucune trace écrite ne nous est parvenue. Le Cardinal Joly de Fleury, surintendant de la police de Louis XV écrit au Président du Parlement de Toulouse M. de MANIBAN, lui demandant s’il y avait des loges dans la ville et de les fermer. Le Président lui répond qu’il a dû être mal informé, qu’il n’y a rien. De MANIBAN appartenait à la loge de BARNEWALL, tout comme l’Archevêque de la ville, Monseigneur DILLON, lui aussi irlandais.
Un an plus tard, la seconde loge se distingue de la première d’origine irlandaise en se nommant « Française ». Elle naît sous l’égide du Comte de Caraman, petit-fils du créateur du Canal du Midi et parent du Grand Maître, le Duc d’Antin. Il fonde aussi des loges à Montauban, Auch, Saint-Gaudens... À Toulouse, il fonde une loge d’artistes « St Joseph des Arts » parrainée par une loge parisienne « St André des Arts » et fusionne les deux loges sous le titre de « Française St Joseph des Arts ». Caraman fréquentait la Cour de Versailles depuis son mariage avec Mlle du Portail, fille du Président du Parlement de Paris, il finira sa vie dans son château de Roissy en 1761.
Les loges vont alors se succéder et parfois s’associer : « La Parfaite Harmonie » née vers 1745 se réunit avec « St Jean Ancienne » et celle du Comte de Clermont, nouveau Grand Maître sous le titre de « Loge de Clermont et des 3 loges Réunies ». « La Sagesse » naît de « St Joseph des Arts » en 1757 et fonde ensuite « La Parfaite Union », celle de Clermont fonde la loge « Montmorency » puis ‘La Parfaite Amitié » qui comprend une loge d’adoption, c’est-à-dire féminine dès 1760.
Dans cette Maçonnerie florissante, les hauts grades ne pouvaient être absents. C’est un système particulier qui voit le jour à Toulouse en 1747 : après la bataille et la défaite de Culloden en 1745, le prétendant à la couronne d’Angleterre Jacques Stuart renonce. Son aide de camp, un écossais James Lockhart est accueilli à Toulouse par les Francs-Maçons, pour les remercier avec l’accord du prétendant Stuart, il fonde la loge de hauts grades « Les Écossais Fidèles » qui utilise le rite de « La Vieille Bru » : système en 9 degrés, dont le grade terminal est le Ménatschim, tailleur de pierres du Temple de Salomon. Avec le passage à Toulouse de Martinez de Pasqually, Claude de St Martin, Cagliostro et Anton Mesmer, de nouveaux ateliers hermétistes ou ésotériques voient le jour et des chapitres écossais se constituent, multipliant les grades.
La naissance du Grand Orient de France (GODF) est précédée par l’apparition d’une nouvelle loge : « Les Vrais Amis Réunis », scission de « La Parfaite Amitié » très aristocratique. Vont alors naître les loges reconnues par le GODF : « Les Élus de Chartres », « Les Cœurs Réunis », « La Paix », « La Vérité Reconnue », « Sciences et Arts Libéraux » et « L’Encyclopédique ».
Plusieurs loges anciennes refusent de reconnaître le « prétendu, soi-disant Grand Orient » et continuent d’adhérer à la Grande Loge Maintenue, finalement par souci de légitimité le GODF s’imposera à Toulouse.
À la veille de la Révolution, 12 loges sont en activité, de nombreuses petites villes ou villages ont leur loge et en proportion de la taille de la ville, le nombre de frères est largement supérieur à ce qu’il est de nos jours, par contre la fréquentation est très aléatoire : une loge de 200 membres rassemble rarement plus de 15 frères.
Deux caractéristiques sont assez spécifiques à la Maçonnerie toulousaine : elle traduit une démocratisation du recrutement, ici se côtoient l’aristocratie, les bourgeois, les hommes d’église, les protestants, les artisans, les négociants, les artistes, les comédiens très mal considérés ailleurs. Cela s’explique par le passé de cette ville avec un système parlementaire, une direction particulière de la cité : le Capitoulat et sa longue indépendance du Royaume de France. Les loges initient les juifs, mais certaines le refusent, et le dernier Archevêque Loménie de Brienne aurait, lui aussi, été initié.
Pendant la période révolutionnaire les loges continuent de fonctionner y compris pendant la Terreur, la fermeture n’est que de 3 semaines et elles ont plus de 50 tenues par an. Les F.M. jouent un rôle important dans la Société Populaire qui va devenir le Club des Jacobins qui pilote les événements révolutionnaires. Ici la Terreur fit 45 morts, à l’opposé des milliers de Paris, Lyon, Marseille ou Bordeaux. Cela n’empêchera pas les Maçons d’être ensuite poursuivis et dénoncés par le journal « L’Anti-Terroriste ».
L’Empire sera comme ailleurs une période d’allégeance à Napoléon et les Maçons seront les premiers à l’honorer et le recevoir en 1808. Le nombre de loges tombé à 6 repasse à 12, le nombre de frères double.
Sous la Restauration les loges sont étroitement surveillées par la police, seules les 6 loges historiques subsistent, « La Sagesse » devenue royaliste et en procès pendant 17 ans va disparaître au début de la Seconde République au moment où les 5 autres loges inaugurent la Statue de la Liberté sous les traits d’une Marianne noire célébrant l’abolition de l’esclavage.
Pendant le Second Empire, les loges sont à nouveau surveillées, aucune loge ne voit le jour pendant 50 ans et il ne subsiste que 2 Chapitres de hauts grades : un au rite français « Les Cœurs Réunis » et un au rite écossais « L’Encyclopédique », une dizaine de Chapitres ont disparu.
Parallèlement au développement du sentiment républicain, la progression de l’anticléricalisme est très nette et l’aspiration à la Laïcité se traduit par de nombreuses initiatives : une école maçonnique, une des sourds-muets, une des aveugles, la caisse des écoles, les salles d’asile pour déshérités, soutien aux Canuts lyonnais, temple transformé en hôpital lors des inondations de 1875….
Pendant la 3e République, 20 maires de la ville seront FM et le début du 20e siècle verra l’arrivée d’une nouvelle loge « L’Harmonie Sociale » pratiquement en même temps que la première du D.H. « Aîcha» et « La Vérité » de la GLDF. La 1ère G.M. sera l’occasion pour les frères toulousains de créer un hôpital et 15 FF perdront la vie dans les tranchées. Les 5 loges historiques redevenues 6 vont ainsi atteindre la Seconde guerre mondiale.
Nombreux sont les frères issus souvent de la SFIO qui vont entrer en résistance. Parmi eux on peut citer, au risque d’en oublier : Auban, Chaubet, Dauriac, Descours, Fages, Cassagne, Vacher, Lacour, Abella, Ducuing, Vié, Patez, Achiary, Trentin, Fonvieille, Micoud, Monier, Coll, Lion, Verdier et d’autres.
Les mouvements de résistance dans lesquels se retrouvent les FM sont nombreux : Liberté Egalité Fraternité, Comité d’Action Socialiste, groupe Froment, groupe Chaubet, Liberer-Fédérer...Plusieurs frères paieront de leur vie leur engagement : Jean Chaubet, Maurice Fonvieille, Jean Micoud, Jules Fages, Lucien Cassagne, Henri Lion et le Jean Moulin toulousain François Verdier assassiné et défiguré par la Gestapo après 40 jours de torture.
Pendant la guerre, les loges se réunissent clandestinement et reprennent leurs activités dans des cafés 5 mois avant l’autorisation officielle signifiée par le GODF. Les locaux ont été détruits, saccagés par « la horde sauvage » de la Milice de Pierre Marty, mais la Marianne noire de 1848 a été cachée.
Les 5 loges historiques sont toujours là : « La Française des Arts », « La Parfaite Harmonie », « Les Vrais Amis Réunis et Indépendance Française », « Les Coeurs Réunis » et « L’Encyclopédique », « La Sagesse » s’est même « Réveillée », et depuis la création des Orients de Pechbonnieu, Castanet et Muret, 25 loges ont rejoint la maison commune du GODF, pour écrire une nouvelle page du 3° siècle de la Maçonnerie toulousaine.